Une histoire de famille
– Le Domaine de Braux –

Ma mère fut orpheline dans sa petite enfance, en 1941.
C’était la guerre, et compte tenu de son jeune âge, fille unique, elle ne pouvait rester seule dans la maison familiale, située au cœur du village de Boucq, qui resta donc à l’abandon jusque l’après-guerre.

Des mirabelliers depuis le 15ème siècle au moins

Mais cette vielle bâtisse, dont les premières pierres furent posées au XIVème siècle (on retrouve des baux relatifs au domaine de Braux depuis 1480. Les documents, datés au plus loin dans l’histoire, laissent à penser qu’il y eut toujours des mirabelliers) a traversé le temps, et les bases sont restées saines. Alors lorsqu’elle y revint jeune adulte, accompagnée entre autres de celui qui allait devenir mon père, ils s’attelèrent, ensemble, à remettre en ordre cette belle demeure.

C’est à cette période, pendant les années 50, que mon père re-découvrit la Lorraine. Il l’avait en effet traversée avec son « automitrailleuse » en 1944 car, engagé volontaire à 20 ans au sein de la 2ème DB du Général Leclerc, il a participé à la libération de Paris et déferla jusqu’en Allemagne. Il acheta plus tard « aux Domaines » une jeep Wilys originale qui a bercée mon enfance.

Avec mon père, mon frère et la jeep Whilys

Avec mon père, mon frère et la jeep Whilys

Originaire de la Creuse, dans le centre de la France, il s’émerveilla de la qualité gustative de notre Mirabelle.
Dans sa jeunesse, il avait eu l’occasion de goûter des mirabelles de Lorraine récoltées à partir d’un arbre dont le scion avait été fourni par une amie de sa famille originaire de Boucq.
Mais ici en Lorraine, les arbres qui poussaient de ci de là dans les vergers familiaux produisaient des Mirabelles dont la merveilleuse saveur n’était pas comparable avec les fruits que pourtant les creusois appelaient également de ce nom.

« Un délice, une splendeur, un régal, le terroir Lorrain est idéal pour ce fruit, et en fait jusqu’à présent je ne mangeais pas de la Mirabelle, mais de la prune à cochons ! » nous racontait-il !!!
Le déclic retentit et la passion naissait dans ces années-là.

Une passion est née : à la recherche de la rationalisation de la culture d’une mirabelle d’exception

Mais mon père n’y connaissait pas grand chose en ce temps là. Il lui fallait donc apprendre de A à Z tout des mirabelliers et de la culture de la Mirabelle.
Alors, avec méthode, animé par cette passion qui jamais ne le quitta, il se documenta, demanda des renseignements aux anciens mais aussi aux organismes tels que la chambre d’agriculture, et puis et notamment aux ingénieurs de l’INRA avec qui il établit un partenariat scientifique solide, et tous le conseillèrent sur les porte-greffes, sur les espèces, sur les variétés, sur les méthodes culturales, etc. Les avis étaient parfois contradictoires, chacun ayant son infaillible méthode… Dans cette véritable chasse aux infos, Il fallait bien faire le tri !

Son désir était de produire une Mirabelle d’exception, pour en proposer un fruit de bouche de qualité sans égal mais aussi de la transformer en une eau-de-vie haut de gamme.

C’est ainsi qu’il planta ses premiers vergers « raisonnés » dans les années 60, avec des plants issus de la même souche, disposés en quinconce de telle sorte que le volume des arbres se croisent sans se gêner. C’était avant que la mécanisation s’adapte à l’arboriculture fruitière.

300 arbres sont alors repiqués et vont être des décennies durant le champ d’observation privilégié des organismes de recherche agronomique.

Frédéric Denizot devant un arbre planté
Le jeune Frédéric Denizot, déjà prêt à prendre la relève !
L’expédition des cagettes
Frédéric Denizot adolescent à l’expédition des cagettes dans les années 70

Ses 2 premiers vergers plantés ainsi, d’environ un hectare chacun, l’un sous l’église, et l’autre à la croix de Champé, devaient fournir sa première distillerie, dont le pressoir consistait en une grande barrique en bois, d’un mètre et demi de diamètre sur autant de hauteur. Les fruits récoltés en cageots étaient donc déversés dans le pressoir, sous nos pieds nus, nous ses quatre enfants qui avions pour mission de marcher en rond et de malaxer les fruits ; nous nous en donnions à cœur joie !! Dernier de la fratrie, je me souviens, bras tendus au-dessus de ma tête, m’agripper au rebord de la barrique pour ne pas tomber !

Bonne méthode, convenons-en, puisqu’après la macération, la distillation en 2 passes, les quelques centaines de bouteilles annuellement produites rencontraient un franc succès. Et c’est tout à fait naturellement que mes parents dénommèrent la gamme d’eau-de-vie du nom d’une branche de la famille de ma mère, habitant Boucq depuis des générations, « Baron de Braux », et l’exploitation le « Domaine de Braux ».

L’exploitation fruitière s’agrandit pour devenir l’une des plus importantes de Lorraine, et participa à l’obtention de l’appellation contrôlée « Mirabelle de Lorraine »

La récolte du jour
Les cageots de la récolte de jadis

Et puis vint le temps de passer la vitesse supérieure !

Mon père planta alors de la Mirabelle de Metz, plus petite, plus charnue, merveilleuse transformée en eau-de-vie, et qui fut le verger le plus étendu de France.

Puis un autre verger en Mirabelle de Nancy, destiné à la vente en fruits frais, car l’apport de cette trésorerie permettait de financer l’immobilisation consécutive au délai de production de l’eau-de-vie, qui bientôt, et mon père en fut l’un des artisans, devait bénéficier de l’appellation d’origine contrôlée « Mirabelle de Lorraine » en 1953.
C’était le temps des premières mécanisations, qui sonna le glas des plantations en quinconce, et ces 2 vergers là furent plantés au carré, en 8m par 8m, soit 64 m2 par arbre.

Dans les années 80, il présenta souvent sa « Mirabelle de Lorraine » aux concours Agricoles, et aussi souvent en remporta les médailles d’or.
Mais ça, c’était avant.

Progressivement, des opportunités d’échanges ou de rachat de parcelles permirent de nouvelles plantations. Toujours en 8x8m ; ce qui, selon mon père, permettait l’utilisation de porte-greffes vigoureux afin d’obtenir de grands arbres, dont la forme en Gobelet permettait une bonne aération et au soleil de pénétrer partout au centre de l’arbre. Et puis, moins d’arbre sur une surface donnée pénalise certes le rendement à l’hectare, mais posons-nous la question de l’épuisement des sols ?…

La construction d’une filière industrielle dédiée aux productions fruitières en Lorraine

La filière Mirabelle de Lorraine se structurait en parallèle, et avec les confrères, autres propriétaires exploitants, se créèrent des coopératives aux doux noms de « coteaux Lorrains », « Vergers de Lorraine » ou encore « Jardins de Lorraine », réunissant des exploitations principalement en Meurthe et Moselle, en Meuse, et dans les Vosges.

Comme beaucoup d’autres, persuadé par l’incontestable vérité que l’union fait la force, Le Domaine de Braux y adhéra, ainsi qu’à l’AREFE, au Relais Mirabelle, à l’Association Mirabelle de Lorraine, et c’est ensemble que nous avons créé l’union de coopératives Végafruit, qui structure aujourd’hui la commercialisation des fruits frais, mais aussi la transformation au sein des ateliers de surgélation ou de mises en gourde de la purée de nos Mirabelles, par exemple.

Les années ont passés, les difficultés furent surmontées, les obstacles franchis, les barrières contournées, et les premiers vergers de mon père ont disparu pour laisser la place à d’autres espèces, diversification oblige.
En effet, la surface plantée et la structure de l’exploitation m’offraient la possibilité d’envisager le tournant des années 2000 autrement qu’en 100% Mirabelle, dogme régnant à Boucq depuis presque un demi-siècle !

Les saisonniers du Domaine de Braux

La diversification fruitière :
cerises, poires, pommes, pêches, prunes…

C’est ainsi que des vergers de cerisiers, de poiriers, de pommiers, de pêchers, d’autres pruniers, rejoignirent les vergers de Mirabelliers.

Les investissements que cela représente furent très important mais absolument nécessaires pour 2 raisons : il fallait remplacer les arbres vieillissant sur certaines parcelles afin d’assurer un turnover, et donc de pérenniser l’exploitation, et puis diversifier pour mutualiser le risque, notamment les impondérables, jadis appelés incidents météorologiques, et qui sont désormais de véritables accidents climatiques.
Et c’est alors, en pleine phase d’expansion par croissance verticale, que se présenta une opportunité de croissance horizontale…
En effet, un couple de voisin-ami-collègue coopérateur décida de prendre sa retraite et me proposa de reprendre leurs Vergers de Beaumont, situé à 15 km de Boucq.
Comment refuser ?
C’était donc parti pour une autre aventure, et je sentais bien que de là-haut, mes parents m’observaient avec bienveillance.

Une nouvelle surface non négligeable de Mirabelliers, de Quetschiers, et de Poiriers venait rejoindre les variétés déjà plantées à Boucq, et, si la majeure partie de ces fruits est destinée à la coopérative, une petite part est réservée pour la vente directe, soit à Beaumont pendant la saison, soit dans les casiers de notre distributeur automatique de produits régionaux, le Relais Miam installé à Flirey et ouvert H24.

Aujourd’hui, jovial quinqua 😉, je représente la deuxième génération, et je suis loin de m’imaginer en retraite, tant que le travail et la providence me gardent en bonne santé… Mes deux enfants grandissent, et je me suis interdit de leur mettre quelque pression que ce soit. Ils suivent leur chemin, et si d’aventure l’un ou l’autre souhaite évoquer la continuité familiale, il aura mon oreille attentive.

Les Mirabelles en grappe
Cerises Noires de Bâle - Les Noires de Bâle murissent protégées du soleil par les feuilles
Les Pêches au soleil
Poires Conférence
Inspection des mirabelliers après une matinée bien fraîche

Frédéric Denizot

À la suite de mon père Michel Denizot, fondateur de l’exploitation fruitière du Domaine de Braux à Boucq.

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